Jouons sérieusement au travail!

Gamification - Patrimoine-RH

J’ai toujours aimé les jeux en groupe. Dans mon cercle familial, à chaque événement, je prends plaisir à organiser les jeux. Je trouve que les jeux permettent d’ancrer les souvenirs joyeux qui remplissent notre réserve de résilience.

Les jeux sont souvent l’occasion de fou-rire, de partage. Ils permettent de mieux se connaître, de renforcer les liens, de cimenter la cohésion dans un groupe.

Ils servent aussi d’occasion de renouer avec notre âme d’enfant et souvent, de retrouver la créativité, la compétition saine, l’esprit d’équipe avec l’entraide et la solidarité sans compter la joie, le lâcher-prise, l’accueil…

🚧 L’utilisation des jeux en entreprise amène beaucoup de débats🚧

Certains disent que l'entreprise est un lieu sérieux où l’on ne s’amuse pas puisque l’on y travaille. L’étymologie du mot travail, qui vient du latin tripalium signifiant «instrument de torture» est restée ancrée dans notre inconscient. La réalité d’une contrainte pénible mais nécessaire car vitale, qui aliène selon Marx, reste une forte opinion commune.

Cette question entre liberté et aliénation est toujours d’actualité quand des philosophes contemporains continuent à analyser la compatibilité entre bonheur et travail. 

Je réserverai un autre article sur le bonheur et le travail. En attendant, je souhaite par cet article donner quelques billes à celles et ceux qui se posent des questions sur les jeux en entreprise. Je partagerai sur des posts des exemples de jeux intéressants.

QU’EST-CE QUE LA GAMIFICATION OU LA LUDIFICATION ?

Ceux qui ont l'habitude de me lire savent que j'aime définir le sujet de mes articles.

Le jeu se définit comme "une situation artificielle (fictive, fantaisiste) dans laquelle des joueurs (un ou plusieurs), mis en position de conflit (lutte, confrontation) les uns par rapport aux autres ou tous ensemble (coopération) contre d’autres forces, sont régis par des règles (procédure, contrôle et clôture) qui structurent leurs actions en vue d’un but déterminé, soit de gagner (gagnant vs perdant), d’être victorieux (contre le hasard, l’ordinateur, un ou plusieurs joueurs) ou de prendre sa revanche contre un adversaire. "

Sauvé, Louise, et al.

La gamification ou la ludification est le fait de transposer les mécanismes de jeu dans un domaine qui n’a rien à voir avec un aspect ludique comme le travail pour inciter de façon ludique les utilisateurs à adopter un comportement souhaité.[i]

Historiquement, les jeux ont toujours existé mais pour donner un certain ordre d’idée, les jeux ludo-éducatifs sont apparus dans les années 1990 suivis par les jeux sérieux (serious games) dès le début des années 2000. La gamification est venue plus tard fin 2000. 

Cette distinction en 3 catégories vient de l’approche sociotechnique de Patrice Flichy (1995) qui prend en compte les conditions techniques, l’imaginaire des concepteurs, la structuration des contenus, le modèle de production socio-économique, les modalités d’appropriation par le public.

Margaret Robertson, Ian Bogost ou Deterding et al.[ii]soulignent que la gamification ne reprend qu’une partie des composantes d’un jeu, ce qui n’est pas la cas du serious game. 

📌 Je retiens les attributs essentiels suivants de Sauvé et son équipe (2005) : le ou les joueurs, le conflit, les règles, le but prédéterminé du jeu et le caractère artificiel📌

Ce qui est important dans la gamification est le processus et non les jeux eux-mêmes. C’est l’approche qui rassemble les praticiens et les académiciens. En effet, la focalisation sur la conception des jeux limiterait les usages manipulateurs.[iii] 

PERIMETRE D’UTILISATION ?

Alvarez et Djaouti indique en 2011 que la cible des jeux dépasse le seul divertissement et touche la défense, la formation, l’éducation, la santé, le commerce, la communication. Nous pouvons également noter les utilisations dans la recherche scientifique, l’information et la publicité.

Dans la même année, Jane McGonigal ouvre un champ plus large que sont tous les aspects de la vie – tout comme Michel Lavigne (2014) qui parle de dissémination du jeu.

 « Le jeu, dans son développement historique, a toujours eu des fonctions qui dépassaient celle du divertissement. Ces fonctions sont idéologiques, que celles-ci soient éducativespropagandistes, ou encore expérimentales dans le cadre du développement de stratégies militaires ou encore de mises en situation au travail. » Claire Siegel (2015)[iv]

LA GAMIFICATION : POURQUOI CA MARCHE ?

La gamification permet de capter l’attention, de motiver, d’augmenter les interactions et de transformer l’individu soit les ingrédients pour engager, que l’on peut rapprocher des 4 I de l’Institut Forrester pour déterminer l’engagement d’un individu (implication, interaction, intimité et influence).

Le jeu 🎮 désinhibe les participants qui se présentent de façon plus authentiques, créant alors des relations saines. Le jeu, si cadré c’est-à-dire avec des règles, des objectifs clairs et un sens explicite, permet d’avoir un sentiment de contrôle de l’environnement, d’autonomie et de compétence[v] (maîtrise). Il rassemble les ingrédients d’un bien-être psychologique (Ryff 1995).

Le jeu 🎲 permet, de façon sécurisée et accélérée, d’expérimenter les 4 phases de développement de Rosenberg et al. (1985): la symbiose, la différenciation, le rapprochement et le narcissisme sain et donc, de nourrir les besoins qui en découlent comme le besoin d’être séparé, indépendant et distinct d’un côté et le besoin d’appartenir à un groupe de l’autre (Théorie de Bowen).

Le jeu 🎰 induit des émotions positives résultant de l’engagement, de la notion de challenge et de réussite.

Le jeu 🧩 a un effet sur la motivation"Dans un contexte de jeu, la volonté de jouer du sujet peut être intrinsèque parce que le jeu procure du plaisir aux joueurs, mais les actions qu’ils poseront à l’intérieur du jeu sont guidées par des règles auxquelles ils pourraient obéir ou non par une motivation extrinsèque qui les amènerait à gagner, progresser ou explorer"Emilie Gravelle, 2003. Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Le jeu 🎳a un lien très étroit avec la créativité. Les travaux de Csikszentmihalyi, M. (1990) démontrent un lien entre le jeu et la vivacité, la concentration, le comportement (amorphe ou agité) et l’humeur. 

En addition, le jeu♟ constitue un chemin d’accès à l’expérience du flow. La psychologie positive loue les bénéfices de cette expérience qui, prolongée ou reproduite et vécue à plusieurs reprises, permet d'augmenter notre niveau de bien-être. Il est alors intéressant de favoriser cet état de flow. 

LA GAMIFICATION EN ENTREPRISE

Le sujet est vaste. Dans cet article, je vais parler des jeux au travail puisque nous sommes sur un réseau social professionnel.

Les jeux sont utilisés tout au long du cycle de vie d’un salarié. Les entreprises y recourent pour le recrutement, l’intégration d’une nouvelle recrue, le développement des compétences (formation), le design d’une nouvelle pratique (test itératif, entrainement, ancrage, ...), la médiation et la gestion des conflits, la sensibilisation et l’évaluation. Elles les utilisent de plus en plus pour les séances de cohésion d’équipe.

Les jeux se présentent sous différentes formes au sein des entreprises: crafting, jeux de découverte (devinette, mime, dessin), jeux vidéo, jeux de réalité virtuelle ou augmentée, jeux mathématiques, jeux de mots, jeux de cartes, jeux de construction, jeux de rôles, jeux de simulation, jeux de plateaux, jeux d’adresse, jeux de stratégie (escape games, …)

LA GAMIFICATION EN ENTREPRISE, POUR QUOI ?

🎯 Le but de la gamification est multiple:

💡 Mettre en lumière les dons, les talents, les forces, les valeurs ... de chacun 

🎨Développer les soft skills comme l’authenticité, l’écoute, la coopération, la solidarité, l’entraide, la gestion du stress, l’adaptabilité, la réactivité, la créativité, l’imagination, les habiletés en résolution de problèmes … 

📚Favoriser la motivation à l’apprentissage, la structuration des connaissances, l’intégration de l’information : on ancre mieux dans notre mémorise ce que l’on apprend en jouant.[vi]

🎮Faire mieux se connaître les salariés : pour mieux se respecter, pour mieux se comprendre, pour mieux communiquer dans l’expression et la satisfaction des besoins, pour mieux formuler les remarques et les demandes, pour connaître et comprendre le fonctionnement de l’autre, pour mieux collaborer, ...

💎 Fédérer et motiver une équipe autours des mêmes visions, valeurs et sens (qui se déclinent en objectifs) car souvent les équipes sont éclatées géographiquement et en raison du télétravail

🤹‍♀️ Renforcer la cohésion et le besoin d’appartenance en créant des liens qui renforce la fidélité à la marque employeur créant ainsi une bonne ambiance au travail

COMMENT RÉUSSIR UNE GAMIFICATION ?

Plusieurs auteurs mettent en garde sur le fait que le jeu ne puisse constituer LA solution miracle à tous les maux et problèmes économiques de l’entreprise. Il est en effet illusoire de penser qu'un team building, par exemple, puisse régler, à lui-seul, les problèmes d'une équipe. Et pourtant, il ne faut pas sous-estimer la puissance de recourir au jeu dans un process.

‼️ PJ Rey, quant à lui, met en garde sur l’utilisation des jeux par des profiteurs pour faire du profit ou pour asservir‼️

A mon sens, il faut que le jeu reste un jeu c’est-à-dire qu’il est fait pour s’amuser, qu’il est lui-même sa propre récompense, son propre but. Il doit rester un OUTIL pour servir un POURQUOI et un POUR QUOI sans quoi il ne serait pas étonnant d’entendre: « les séminaires … une perte de temps et d’argent », « c’est retombé aussi vite que c’est monté », « on fait tout ça mais rien ne change, ni ne s’améliore », « nouvelles trouvailles des RH », « si l’on se concentre d’abord sur mes problèmes… » etc.

Il sera toujours question de sens et d’intentionLa congruence est de mise. Il faut tenir compte des besoins et selon le cheminement de l'entreprise, d'une "hiérarchisation" de ces besoins.

C'est l'histoire du baby-foot! Si l'entreprise entame une démarche globale et travaille sur les leviers du bien-être et de la performance qui sont le vécu du travail, les ressources organisationnelles et les ressources personnelles, qu'elle a les moyens, que le baby-foot réponde à des besoins et attentes détectés voire exprimés par les salariés pour décompresser, pour réduire leurs stress, pour mieux réfléchir, pour être mieux ... que sais-je: je dis banco!

Pour réussir une gamification, il faut établir des règles de fonctionnement (respect, confidentialité, liberté, honnêteté, prise de parole, rôle,...) définir un contexte précis, un « problème » à résoudre, un temps déterminé, un objectif à atteindre, créer parfois des imprévus, éventuellement créer des groupes d’alliés et d’ennemis et/ou octroyer des récompenses. A cela, Jane McGonigal rajoute « un système de retour d’information et une participation volontaire ».

⚠️⚠️Ce cadre de fonctionnement doit être connu de tous pour être sécurisant et donc, propice au déploiement de la confiance⚠️⚠️

CHECK-LIST : AVANT DE VOUS LANCER

🧮 Il faut répondre à ces questions : qu’est-ce que l’on vise ? Le jeu s’inscrit-il dans une démarche globale ? Ne masque-t-il pas un fond qui n’attend qu’à être exploré? Est-ce le bon timing ? A-t-on pris le temps de recueillir les besoins et les attentes des salariés ? Quel périmètre: entreprise, direction, équipe, managers, ....? Qui participe à sa conception? Quel est le niveau de maturité du groupe pour recourir à tel outil plus qu’à un autre ? Où le faire? Est-ce qu'il est important de recourir à un ou plusieurs animateurs? Internes ou externes? Est-il préférable de le faire pendant le temps de travail ou en dehors?...

Et vous, que pensez-vous des jeux en entreprises: BULLSHIT ou PAS?

Très bel article de Vola POTINET -Coach des coeurs et de la libération (titre officiel) - Coach interne chez Haute-Savoie HABITAT

[i] Sebastien Deterding (2010)

[ii] Deterding, S., D., Dixon, R., Khaled, Nacke, L .: Des éléments de la conception du jeu au gameplay: Définition de la «gamification». Dans: MindTrek 2011, pp. 9–15. ACM Press, New York (2011)

[iii] Werbach K. (2014) (Re) Définir la gamification: une approche processus. Dans: Spagnolli A., Chittaro L., Gamberini L. (eds) Persuasive Technology. PERSUASIVE 2014. Notes de cours en informatique, vol 8462. Springer, Cham

[iv] Claire Siegel. La Gamification, promesse de réenchantement du monde ?. Colloque Homo Ludens du 21e siècle, RIRRA 21 et LIRMM, Nov 2015, Montpellier, France. ff10.21409/HAL-01649220ff. ffhal01815477

[v] Théorie de l’autodétermination, Decy & Ryan, 1995

[vi] Sauvé, Louise, et al. « Une analyse des écrits sur les impacts du jeu sur l’apprentissage. » Revue des sciences de l'éducation, volume 33, numéro 1, 2007, p. 89–107. https://doi.org/10.7202/016190ar

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